Mémoires de sapin

Il y a longtemps,
je vivais heureux avec mes frères dans ma sapinière natale;
un jour, un homme est venu,
il m'a longuement détaillé et m'a arraché à la terre de ma naissance.

Je me suis retrouvé dans le coin d'un salon où régnait une douce chaleur générée par un joyeux feu de bois crépitant dans la cheminée.
Le soir même, j'ai été orné de rubans et étoiles, de jouets simples et utiles a une epoque encore sous le choc d un conflit gui avait ravage la planete.
Assoupi, après une longue nuit, j'ai été réveillé par les cris de joie des enfants découvrant leurs modestes cadeaux.
Au bout de quelques jours, ce brave homme m'a planté dans son jardin;
je me suis senti bien seul, minuscule, face à ce clocher très haut et plein d'orgueil; je me suis juré de grandir rapidement pendant de longues décennies étalées sur deux siècles afin de l'égaler.

Devenu adulte, j'ai enfin pu rivaliser avec ce clocher;
lors des festivités de fin d'année, j'ai été illuminé et ma prestance admirée par mes concitoyens et leurs visiteurs.
Du fait de ma position centrale, j'ai vécu tout ce qui s'est passé : la circulation de plus en plus intense, les cris des écoliers en récré, le carillon des cloches lors des baptêmes, mariages, offices religieux et, aussi le triste glas funèbre accompagnant un défunt à sa dernière demeure.

Puis un jour, rançon du progrès, afin de faciliter des travaux de modification urbaine, j'ai été abattu par des bûcherons, mais, parodiant les paroles de l'assassin de l'Amiral de Coligny éliminé sur ordre de la Médicis lors du massacre de la Saint Barthélémy au 16ème siècle, je cite : « Il paraît encore plus grand couché mort que vivant debout ».

Voici, brièvement raconté, le récit de ma vie;
des détails sont sortis de ma mémoire, ou insignifiants.
Je souhaite que mon tronc soit transformé en banc public pour accueillir des amoureux se tenant par la main, des randonneurs fatigués par une longue promenade et aussi des personnes âgées venues se rappeler leur jeunesse.

Votre sapin bien aimé